Prix des Lecteurs 

Toccata de Pierre Decock 

 

Par Denise Besch, responsable Service littéraire au Ministère de la Culture du Grand-Duché de Luxembourg 

 

 

1. Permettez-moi de commencer par rappeler la définition de la « toccata : » La toccata (de l'italien toccare toucher), est une pièce musicale pour instruments à clavier — orgue, clavecin, piano …D'abord destinée à permettre à un instrumentiste de prendre contact avec un instrument (comme le laisse deviner son étymologie), elle dérive ensuite pour devenir une démonstration du talent de l'interprète et permettre de faire apprécier les possibilités sonores de l'instrument. 

 

Ainsi, au fil des années, la toccata pour orgue notamment a fini par devenir une pièce brillante où la virtuosité démontrée aux manuels et soutenue par des thèmes qui se déploient largement à la pédale,  ne  manque pas d’impressionner son public, même non mélomane. 

 

Elle est apparue dans la musique instrumentale au XVIIe sciècle et un des compositeurs qui s’y est distingué, c’est Jean-Sébastien Bach 

 

2. Et nous voilà déjà au cœur du sujet du livre : 

 

Dans le premier roman publié de Pierre Decock, il sera beaucoup question de musique puisqu’une Toccata  inédite de Johann Sebastian Bach lui-même, y joue un rôle principal. La partition originale de cette œuvre est léguée par une grand-mère alsacienne, à son petit-fils ingénieur dans un coffre de bois peint, bourré de souvenirs personnels sans valeur. Tout le monde appréciait Grand-mère de son vivant pour la qualité de ses bretzels et ses galettes au beurre, et personne ne se serait douté qu’elle possédait un trésor anodin à première vue.Quelle fut donc grande la déception de l’unique petit-fils, Robert Emerson, quand il n’hérita pas de la petite maison alsacienne aux colombages, dans laquelle il aimait tant passer ses vacances ! 

 

Mais cette partition, au lieu de faire le bonheur de son nouveau propriétaire, qui n’avait jamais touché à un instrument de musique et ne s’intéressait pas à la musique classique, va bouleverser sa vie. Tout à coup, des personnages peu sympathiques dérangent son petit train de vie d’informaticien aux Communautés européennes à Luxembourg : ils le cambriolent, le traquent et essayent même de le tuer à 2 reprises. La nuit, des rêves étranges et sanglants le tourmentent et lui procurent des maux de tête pendant la journée. Bref, son petit monde bascule dangereusement, et Emerson commence à se poser des questions sur son état mental... A son grand étonnement, il se retrouve même dans un magasin de musique où, sur un coup de tête irrépressible, il achète un orgue électronique. Lui, qui n’y comprend plus rien à son comportement, se rend compte qu’il sait miraculeusement jouer de cet instrument, sans l’avoir appris...... 

 

Mais une femme va l’aider à sortir du pétrin. Elle est musicologue et lui en apprend beaucoup sur la musique et les orgues, entre autre. Emerson en tombera évidemment amoureux et la fin de l’histoire, vous le pressentez bien, sera romantique. 

 

3. L’originalité de Toccata 

 

Excepté sa fin romantique prévisible, le sujet est original et aux frontières du fantastique. Mais il n’y a pas que le sujet qui étonne. Alors que la trame se développe, l’auteur ne se prive pas de nous livrer certaines descriptions et réflexions très personnelles, mais fort intéressantes sur le pays qu’il habite et dont il est devenu entretemps un citoyen dans la vie réelle. Comme il l’explique lui-même dans une interview, c’est avec le regard de l’informaticien qui habite au Luxembourg depuis 2 ans, après Paris et Bruxelles, qu’il passe au crible quelques travers et défauts de ses collègues et concitoyens. Les allusions socio-culturelles au Luxembourg sont très subtiles et trahissent la finesse de la capacité d’observation  de l’auteur. 

 

 

a. la note luxembourgeoise 

 

En tant que Luxembourgeoise j’ai particulièrement apprécié certaines descriptions comme celle sur les embouteillages par exemple 

p.37 

 

Ou celle sur les pompiers luxembourgeois : 

« ...les gens se pressaient toujours autour de la carcasse. Emerson leur expliquait que tout risquait de sauter, qu’il fallait appeler les pompiers...Après quelques minutes certains d’entre eux étaient de retour, un casque sur la tête, bouclant péniblement un ceinturon de cuir, sur leur ventre arrondi. Comme dans toutes les petites localités du pays, le corps des pompiers du village était uniquement composé de volontaires... maniant la plupart du temps avec plus d’habileté la pompe à bière que la lance d’incendie. »p.84 

 

La propriétaire de son appartement, Mme Welschbillig vaut son pesant d’or quand elle s’exprime après l’accident-attentat qui a eu lieu chez Emerson. En bonne commère, elle est tout de suite convaincue de connaître le vrai motif du malfaiteur : tuer un Nord-Africain réfugié dans le village. 

« ...Evidemment je ne dis pas ça parce que c’est un étranger. Je n’ai rien contre les étrangers. Tenez, mon fils,... il est marié avec une fille de Sterpenich ; c’est vous dire. .. on ne pourra pas venir me raconter après, que je ne suis pas large d’esprit. ..N’empêche... » p.91 

 

De même, sa vision de la nouvelle Université du Luxembourg étonne ; l’auteur l’a située dans le quartier du Kirchberg, alors qu’après d’âpres discussions de plusieurs années, elle ira bien à Esch-sur-Alzette. Pierre Decock y intègre même une faculté de musicologie avec un Séminaire grand-ducal de musicologie baroque, détails qui font bien rire les Luxembourgeois qui connaissent la réticence de l’Université à développer des sections de sciences humaines. 

 

b. la note européenne qui amuse 

 

D’abord le milieu de travail des institutions européennes. Par exemple, la description d’une séance de travail européenne notamment est délicieuse. p.19 

 

Le brassage des cultures européennes. Je rappelle que dans le livre de Pierre Decock une grand-mère alsacienne de nationalité française, mais qui a grandi en Allemagne et maîtrise mal le français, a un petit-fils moitié français, moitié britannique qui après des passages professionnels à Paris et à Bruxelles échoue au Luxembourg, et va y tomber amoureux d’une Italienne. 

 

Les Italiens comme minorité importante au Luxembourg sont très présents dans le livre.(la petite amie d’Emerson, un collègue de travail ami)  Evidemment la maison où habite Emerson compte aussi une famille portugaise (14,7% de la population) parmi ses locataires, de même qu’un Polonais , nationalité qui a fourni la première vague d’immigrés vers 1900 pour exploiter le sol fertile en minerai du sud du pays, minerai qui est à la base de l’essor économique d’un pays reposant  jusque- là exclusivement sur l’agriculture. 

 

Faut-il rappeler aussi que dans la première partie, l’histoire de Toccata se passe au Luxembourg et la deuxième partie en Allemagne, où d’ailleurs le commisssaire plus futé vient de l’ex- Allemagne de l’Est et aura raison contre le commissaire arrogant de l’Ouest. 

 

Voilà quelques exemples qui illustrent le charme des détails socioculturels qui, comme des petites fioritures dans une partition de musique, l’égayent au passage. 

                        

c. le regard de l’Historien et de l’artiste-peintre 

Mais Pierre Decock  ne peut renier sa première vocation : il est historien de formation. Toutes ses indications historiques sont exactes, ce qui fait de la lecture de son livre un cours d’histoire en action. L’exemple du petit village de Heimlingen  illustre un épisode cruelle de guerre de religion européenne entre Protestants et Catholiques et peut-être, mais je ne sais pas si c’est voulu, la secte décrite, tournée complètement vers le passé, exemplifie la dérision des motifs qui mènent aux carnages d’innocents pour « la bonne cause »fût-elle d’origine soi-disant divine. 

 

Grammaticalement, l’auteur se livre aussi à un jeu des temps. Contre toute attente, les passages historiques les plus significatifs (chap.31) sont racontés au présent, alors que le reste de la narration est fait dans les temps du passé, et l’auteur se sert même copieusement du passé simple, ce qui semble plutôt démodé de nos jours mais garde néanmoins son charme. 

 

Aujourd’hui l’auteur est contrôleur de gestion à l’Entreprise des Postes et télécommunications, après avoir été informaticien et consultant en informatique pour différentes entreprises. C’est l’informaticien qui perce dans la  précision avec laquelle il décrit les objets et les personnes. Il s’en suit des sortes de tableaux qui campent le décor comme dans un film. 

 

Je prends comme exemple, à la page 5.la description de la maison de Granny, sa grand-mère…. (lecture) 

 

De même, quelques rares éléments dans un tableau d’intérieur font vivre une maison délaissée et recréent une atmosphère évanouie : 

 

« Le hall avec l’horloge dont le balancier s’agitait fatigué dans son coffre de chêne... » p.5 ou 

 

« le fauteuil de velours rouge aux accoudoirs élimés trônait à sa place, dans l’air flottait, rassurant, un doux parfum de cannelle et de chicorée. La nappe était mise, il y avait des fruits dans le compotier et dans sa cage, le petit canari sautait insouciant du perchoir à son baquet et de son baquet au perchoir ; pour peu, on aurait pu croire Granny sur le point de faire son entrée dans la pièce. ». p.5. 

 

Mais au lieu de dire que tout est fini, Pierre Decock continue : « sur les murs, le papier à fleurs jauni semblait vide ; il portait tristement les traces des cadres que le cousin Pierre avait déjà emportés » p.6 

 

J’avoue que je n’étais pas du tout surprise après coup d’apprendre que l’auteur est peintre aussi à ses heures et que ses œuvres, ou une partie de ces œuvres, peuvent être admirées sur son site Internet. Comme chez un peintre, on sent chez lui une recherche de la touche exacte, ici le mot juste, pas d’à peu près, pas de « truc, machin, chose, » mais des mots précis, nuancés, l’auteur ne se contente pas d’approximations. « L’air [du marché] exhale le chou, le lait caillé et les odeurs de ferme » p. 78, c’est concis, c’est net. 

 

L’histoire est bien ficelée, même si on peut ne pas aimer le sujet, le style en est plutôt classique, mais les dialogues sont vivants et naturels. L’ensemble réussi suscite chez le lecteur le plaisir de trouver la phrase bien tournée et l’image inattendue. Le polar de Pierre  Decock regorge de qualités évidentes et les lecteurs de la Grande Région ne se sont pas trompés en le hissant au palmarès. Pour un premier roman, chapeau, Monsieur Decock ! Vous avez mérité un prix. ! 

Fernand Tomasi - Belgique 

Pascale Seil - Luxembourg  

La Voix 

 
 

Le Républicain Lorrain 

Prix des Lecteurs de la Grande Région 

 
 

Metz 28 novembre 2008